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L'économie selon Rudolf Steiner

L'économie selon Rudolf Steiner

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La division du travail et la fraternité

Ce nouvel examen nous montre immédiatement qu'avec la progression de la division du travail, chaque individu travaillera pour autrui, pour la société dans son ensemble, mais jamais pour lui même. En d'autres termes, une des conséquences de la division du travail est que l'économie dépend, pour son fonctionnement, de l'extirpation radical de l'égoïsme.

Je vous le demande, ne le comprenez pas du point de vue éthique mais purement économique, économiquement l'égoïsme est impossible. Avec la progression de la division du travail on ne peut plus rien faire pour soi-même, mais on fera tout pour les autres. Au fond, les circonstances extérieures ont exigé l'altruisme dans le domaine économique bien plus vite que dans le domaine éthique ou religieux.


L'altruisme, une exigence de l'économie

L'altruisme dans l'économie moderne, dans la production des biens, n'est requis ni par dieu, ni par une loi éthique, ni par un instinct, mais par la division du travail. Aussi est-ce une exigence de nature purement économique. Notre économie exige de nous plus que nous n'en sommes capables à notre époque sur le plan religieux et éthique, cela est à l'origine de nombreux conflits.

Essayez d'étudier la sociologie des temps présents, vous trouverez que les conflits sociaux peuvent être attribués en grande partie à ceci : avec l'élargissement de l'économie à la dimension mondiale, la nécessité d'un comportement altruiste progresse, de même que la nécessité d'instituer l'altruisme dans les rapports sociaux existants, alors que les hommes n'avaient pas encore compris comment se dégager de l'égoïsme. Si bien qu'ils les interférait égoïstement dans ce qui était pourtant une véritable exigence.


L'autarcie du salariat

Au fond chaque salarié au sens ordinaire du mot, se trouve encore aujourd'hui en autarcie. Il ne donne qu'autant qu'il désire gagner, et il ne donne pas à l'organisme social autant qu'il en est capable. Il limite son apport à ce qu'il désire gagner.

L'autarcie c'est travailler pour son propre gain.

Travailler pour les autres c'est répondre aux nécessités sociales.

Si cette condition, liée à la division du travail, est déjà satisfaite à notre époque l'altruisme est effectivement présent : travailler pour les autres. Si la condition d'altruisme n'est pas remplie, nous avons affaire à une survivance du vieil égoïsme qui oblige à subvenir à ses propres besoins, un égoïsme économique.

Cet aspect du salarié nous échappe le plus souvent parce que nous ne voyons plus du tout quelles sont les valeurs échangées. Ce que le salarié fabrique n'a rien à voir avec la rétribution de son travail, absolument rien à voir.

La rémunération, l'estimation de son travail, repose sur des facteurs tout différents. De sorte que l'ouvrier pense travailler pour son gain, pour satisfaire ses propres besoins. Cela reste caché masqué mais c'est ainsi.


La motivation par le gain dans l'économie

Ainsi surgit devant nous une des premières, une des plus importantes question économique : comment pourrons nous exclure du processus économique le travail motivé par le gain ?

Ou placeront nous, dans le processus économique, ceux qui aujourd'hui encore ne sont là que pour gagner, afin qu'ils ne soient plus là seulement pour gagner mais qu'ils participent comme des travailleurs oeuvrant dans le sens de la nécessité sociale ? Devons-nous faire cela ? Sans aucun doute, car si nous ne le faisons pas nous n'obtiendrons jamais des prix justes, mais des prix faussés. Nous devons obtenir des valeurs et des prix ne dépendant que du seul processus économique, résultant de la fluctuation des valeurs, et non pas dépendants des hommes.

La question cruciale est celle des prix.


la vie culturelle et l'Etat

Il faut que la vie culturelle soit bâtie sur un potentiel d'aptitude individuelle autogérée. On pourra parler de vie culturelle quand celle ci sera émancipée de la vie de l'Etat et qu'alors, elle sera en retour à même de porter vraiment l'âme humaine.

Ce ne sera pas une idéologie, ce ne sera pas une vie culturelle qui délivre uniquement des concepts abstraits, ce sera une vie culturelle qui fera la preuve pleine et entière de sa réalité spécifique, qui portera l'homme et son âme, qui rétablira l'homme dans un ordre spirituel.

C'est cela que le prolétaire d'aujourd'hui refuse encore. Au tréfonds de son âme, il soupire après une vie culturelle telle que celle là parce qu'il pressent que sans elle son âme devient un désert. C'est une affaire terriblement sérieuse que cet appel à conformer une vie culturelle libre. Si la chose est tellement sérieuse, c'est que les perspectives communément admises à l'époque moderne, les habitudes de pensée, incitent les gens à tourner le dos à cette guérison du corps social.

C'est aussi qu'on voudrait parler de cette exigence d'une vie culturelle libre, de la vie culturelle qui se suffit à elle-même, à ce qui représente aujourd'hui la jeunesse. Si la science et la philosophie, en un mot la vie culturelle, doivent avoir une chance de survie, nous avons besoin d'une vie culturelle différente de celle qui peut s'établir sur la base de l'Etat.

Nombreux sont ceux qui parlent aujourd'hui de l'esprit, de cet esprit devenu ombre, devenu idéologie vu l'évolution des siècles derniers. De cet esprit on ne peut rien tirer qui élève l'âme. Cet esprit, cette vie culturelle, a également perdu en grande partie la vigueur nécessaire pour intervenir dans la vie pratique immédiate.

C'est pour cette raison que Karl Marx n’a plus trouvé que la vie économique pour lui garantir encore un tant soit peu de réalité. Il disait : «dans la pratique il faut que l'homme se persuade que sa pensée a vraiment un sens, que sa pensée a la possibilité de prendre forme de réalité ».

Mais cette pratique on ne la trouvait que dans la vie économique. Il faut que la vie culturelle puisse elle aussi entrer dans la pratique et qu'elle se donne pour cela des fondements ancrés dans la réalité. C'est ce qui donne à ces affaires un caractère de sérieux immense.

Du même coup cette vie culturelle cessera de plonger dans les abstractions qui sont aujourd'hui la grande plaie, la plaie profonde de notre société, et s'affirmera comme une réalité très concrète.


Le rapport entre l'entrepreneur et le travailleur

Examinons maintenant le salariat et le travail sous cet aspect. Nous ne pouvons évidemment pas échanger un travail contre quoi que ce soit, car il n'y a pas d'évaluation possible entre le travail et une quelconque autre chose.

Nous pouvons certes nous imaginer, et donner à cette imagination une apparence de réalité, sous le vocable de salariat, que nous rétribuons le travail. En réalité ce n'est pas le cas.

Ce qui se passe est tout différent. Il y a bien en réalité un échange de valeur dans le salariat. Le travailleur produit effectivement quelque chose directement, il livre un produit et c’est ce produit que lui achète effectivement l'entrepreneur. L'entrepreneur paye réellement jusqu'au dernier centime la marchandise que lui livre le travailleur.

Nous devons voir les choses d'une façon exacte : il achète réellement au travailleur le produit de son travail. À partir de ce moment l'employeur a pour tâche, après avoir acheté ces produits, de leur conférer une plus grande valeur grâce à son esprit d'entreprise, grâce au contexte général de la société. C'est cela qui constitue en réalité son gain.


Le travail du salarié : une marchandise

La vie économique, le cycle de l'économie, ne devrait admettre d'autres activités en fait, que la production de marchandises ou de biens apparentés aux marchandises. Le prolétaire d'aujourd'hui a aussi ce sentiment là. Cela s'exprime dans ses revendications, quand bien même il ne les dit pas en ces termes. Il ressent comme une atteinte à sa dignité d'homme le fait d'être dans les brancards du processus économique, comme la marchandise elle même.

De même que les marchandises, ou leur prix à déterminer d'un commun accord, le travail des hommes à lui aussi un prix qu'on fixe parmi les autres.

D'un côté, le coup de maître dans la doctrine de Karl Marx, fut de donner expression au sentiment qu'éprouvait le prolétaire au tréfonds de lui même sur la question du travail, et d'attirer l'attention des gens sur ceci : de même que sur le marché des biens les marchandises sont achetées et vendues selon la loi de l'offre et de la demande, de même votre travail est acheté et vendu sur le marché du travail.

Sous ce rapport il faut aller plus loin encore que Karl Marx lui-même, si l'on doit parvenir à assainir le corps social. Il faut se rendre compte que le travail n'est absolument pas comparable à une marchandise et de ce fait ne serait avoir un prix sous quelque rapport que ce soit, à l'instar d'une quelconque marchandise.

Quand il lui faut apporter son travail au marché, l'homme sent que le moment de l'évolution est déjà venu où il faut que tombe une troisième chose en plus des deux qui sont tombés au cours de l'histoire.

Est tombé l'antique esclavage, où l'on pouvait acheter et vendre la personne entière.

Est tombé le servage, où l'on ne pouvait déjà plus acheter et vendre la totalité de la personne.

Il faut encore que tombe, en troisième, ce qu'a encore conserver l'ordre économique capitaliste : le fait que l'on peut acheter et vendre le travail humain sur le marché du travail. Car le travail que l'homme vend est inséparable de sa propre personne. Et du fait qu'il est inséparable de son travail, l'homme vend bien sa propre personne par dessus le marché,en quelque sorte.

On a le sentiment que nous en sommes à ce stade de l'évolution, où il n'est plus permis d'acheter ni de vendre rien de ce qui est humain ; où il n'est plus permis à la vie économique de garder que ce qui peut objectivement avoir une valeur en soi, abstraction faite de l'homme.

En d'autres termes, la vie économique, le cycle de l'économie ne saurait avoir en propre que la production des marchandises, la circulation des marchandises, la consommation des marchandises. Il faut que le travail de l'homme sorte du carcan de la vie économique dont l'homme est encore aujourd'hui en partie prisonnier.

Il n’en sortira qu'à condition d'être gérée de façon autonome dans le corps social sain, de ne plus être objet de l'économie, mais du droit. Ce qui implique que se développent côte à côte l'économie et l'état de droit, l'état politique.

De même que la nature est indépendante, de même que le grain de blé germe et sort de terre sans dépendre de la vie économique, de même il faut que les droits des ouvriers se négocient dans le cadre de la vie juridique. L'ouvrier entre dans le cycle de l'économie avec des droits établis en dehors de ce cycle, comme les forces de la nature ont leur siège en dehors du cycle de l'économie.

La fixation des prix et tout ce qui, d'une manière générale, évolue à l'intérieur de la vie économique, évolue sur la base de la législation du travail qui s'élabore en dehors de la vie économique. C'est la législation du travail qui fixe les prix, ce n'est pas le cycle économique qui détermine le prix du travail humain. Ceci ne pourra résulter que d'un rapport sain entre l'ouvrier qui travaille de ses mains et le patron qui prend les décisions. Alors l'ouvrier n'aura plus besoin de souscrire le contrat illusoire qui fixe aujourd'hui son travail, alors il pourra souscrire le seul contrat possible, celui qui concerne le partage approprié de la production assurée en commun par la main qui exécute et par la tête qui pense.

Le seul moyen de parvenir au résultat nécessaire sur ce terrain, c'est de séparer rigoureusement la vie de l'état de la vie économique.


L’Économique, le Juridique, le Spirituel

Pour un organisme social tri-articulé

Deuxième Partie : “L’économie et la fraternité” [80 mn]

  • Qu’est-ce qu’un acte économique ?
  • Importance de reconnaître que l’Economie est, par nature, fraternelle.
  • Le juste prix lié aux besoins du producteur.
  • Le travail n’est pas une marchandise, seul le “résultat” l’est.
  • Le travail en tant que tel n’appartient pas au domaine économique mais au domaine juridique, seul le résultat du travail appartient au domaine économique.
  • Salariat, dernier bastion de l’antique esclavage.

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